Hier soir, comme à l'accoutumé, vers 21h, le dernier biberon de mon agneau à allaiter servi, j'installais mes lanternes pour la nuit en prévention d'une éventuelle prédation, le tout sur un fond musical du moment à la radio épouvantail venant d'être allumée.
J'entendis alors un vol lourd et puissant dans l'arbre au-dessus de moi, bruit qui me fit penser par expérience à celui d' un vautour. Je n'y prêtais pas plus attention, songeant mon imagination féconde, d'autant que dans le même temps, le couple de corneilles nicheuses du même arbre houspillait un intrus dans la cime de façon fort bruyante.
Tournant la tête pour partir, c'est alors que mon regard découvrit bien un vautour fauve juste au moment où il se posait dans un grand pin sylvestre, à 200m.
Le temps de courir prendre jumelles et longue vue et je m'assurais que le rapace comptait bien passer la nuit ici.
Surprise! Ce n'était pas un mais trois vautours qui étaient branchés dans ce pin.
Ceux-ci se trouvant à une cinquantaine de mètres d'une habitation, j'ai attendu jusqu'à la nuit totale pour vérifier qu'aucun dérangement ne ferait partir mes visiteurs, en espérant les retrouver bien là au lever.
Ce matin, au lever du jour, ils étaient bien là.
J'étais ravi et après le premier biberon du matin distribué à mon agneau dépendant, je décidais de me poster en affût pour assister au départ des trois vautours fauves, quand le soleil serait suffisamment haut pour ces gros et lourds planeurs (2m50 d'envergure). Je pris les lisières de haies pour progresser, scrutant tout de même les arbres autour de moi dans l'espoir d'autres fauves, ... mais non rien.
J'allais me placer en bordure de mes douglas, à 200m du trio, pour demeurer discret et ne pas déranger.
Cela faisait une demi heure que j'observais les Gyps fulvus depuis le pied d'un gros douglas, quand tout à coup j'ai cru que le ciel me tombait sur la tête. Un autre vautour se trouvait en fait au-dessus de moi. Je ne l'avais pas vu et lui non plus ne m'avait pas vu jusque là, se retrouvant alors surpris et s'effarouchant. Vacarme du grand voilier s'extirpant du résineux.... Spectacle du gros oiseau à l'envol à quinze mètres de moi.
Du même coup, je fus stupéfait de ce qui se déroula. Ce n'est pas un vautour qui prit son envol .... mais deux, puis trois, quatre ...
... finalement douze oiseaux successivement, rejoints ensuite par les trois tout premiers découverts la veille et décollant de leur pin.
Ce fut tout aussi intense que rapide.
La nuit du 28 mai 2021 restera une date dans ma mémoire, celle où quinze vautours fauves avaient décidé de passer la nuit chez les Lutins! Evénement à inscrire en bonne place dans le Top 50 de mes observations sur ce site.
Spectacle magique du groupe partant dans l'horizon pour ses pérégrinations. Les voyages forment la jeunesse chez les vautours également.
Emerveillement et joie d'une si belle observation, si belle rencontre, mais tristesse aussi et regret de m'être retrouvé bien malgré moi à l'origine de ce départ anticipé de mes visiteurs, en fait dos au dortoir principal invisible. Même dans mes rêves les plus fous, je n'aurais jamais imaginé qu'une quinzaine de vautours puissent m'arriver et décider de s'installer pour la nuit, à seulement cinquante mètres de ma maison, pour ensuite se déplacer cent mètres plus loin, déjà à cause de moi la veille, sans que je le sache alors.
Sans doute un numéro spécial de la série "J'irai dormir chez vous"!
(Après échange avec un collègue ornithologue sur cet événement, celui-ci avait également neuf vautours fauves stationnés non loin ainsi qu' un vautour moine. Ce sont donc au moins 25 vautours qui avaient dû se poser pour la nuit sur le secteur)
Pour les amateurs d'oiseaux libres et vivants, à titre d'info déjà mentionnée dans un autre article, lors d'une première rencontre avec cette espèce chez les Lutins, cette observation s'inscrit totalement en cette période, dans le phénomène de prospection vers le nord des vautours fauves pour la plupart immatures. Phénomène récurrent ces dernières décennies depuis un bien meilleur état des populations et une plus large répartition des nicheurs. Phénomène pouvant emmener ces oiseaux là où on les attendrait encore moins, jusqu' en Belgique et aux Pays Bas, voire au-delà, sans avoir manqué auparavant d' "arroser" l'hexagone de leurs visites ici et là.
Alors, même en vous situant en dehors des zones habituelles de répartition de cette espèce, ouvrez l'oeil par les belles et chaudes journées favorables aux grands déplacements des vautours fauves (parfois accompagnés du vautour moine bien plus rare), on ne sait jamais, question de chance!
Anecdote vautour hors Lutins, mais que je trouve assez succulente pour être partagée ...
Lors d'activités naturalistes dans les Pyrénées atlantiques, dans ma jeunesse, dans un col pris dans les nuages, je capturai un jeune vautour fauve affaibli et volant mal.
C'est la suite qui devint cocasse lors de la descente du col pour aller rejoindre un centre de soins pour la faune sauvage. Cette trouvaille n'étant pas prévue, le rapace fut placé dans le coffre de la voiture. Mais au bout de quelques kilomètres, l'oiseau décida de passer sur le siège arrière. Ne pouvant m'arrêter de suite, de là il décida de passer à l'avant.
Ce fut sans doute le seul vautour fauve au monde qui prit le volant d'une Ford Escort et même klaxonna. Gros moment de panique, le rapace sur volant me bouchant la vue ailes écartées... et moi pied sur le frein dans un virage. J'imaginais déjà le titre du lendemain d'un journal local à sensations: "Mort attaqué par un vautour jusque dans sa voiture".
Tout finit bien grâce à l'absence de circulation par ce temps, je ligotai l'oiseau avec un vêtement et finis par livrer mon colis insolite au responsable de l'association.
Je croyais l'aventure terminée quand je m'aperçus que j'étais couvert de centaines d'énormes poux aviaires proportionnels à la taille du vautour et qu'il en était de même de tout l'intérieur du véhicule. Il me fallut trouver un supermarché vendant une bombe antipuces, trouver un coin tranquille, me déshabiller totalement, placer les vêtements dans la voiture et y vider le pulvérisateur... Au bout d'un moment, le crime semblait être commis, plus aucun monstre ne bougeait ....
Le vautour fauve semble être oiseau à ne laisser au final que de bons souvenirs malgré tout ...
(Quant au vautour en question, il put être soigné, retapé et par la suite remis en liberté)