Il y a quelques années, une personne de passage chez les Lutins me demandait ce que j'apportais sur mes prairies pour les fertiliser.
Cette personne avait l'esprit formaté jardinage et exploitation agricole, aussi elle ouvrit de grands yeux quand je lui répondis: "Rien!"
Je tentai alors de lui expliquer que je ne sortais de mes prés aucune matière organique sous une forme ou une autre, que le nombre de moutons était géré en fonction des surfaces et que j'évitais le surpâturage, et qu'ainsi mes animaux jouaient un rôle uniquement de transformation de la masse végétale herbacée en déjections qui alors fertilisaient le sol pour reproduire de l'herbe, la boucle étant bouclée.
Je lui faisais remarquer également que les quintaux, sinon tonnes, de céréales introduites pour nourrir en complément hivernal compensaient largement les quelques dizaines de kilos de Lutins qui pouvaient certaines années quitter l'élevage.
Je lui expliquai également que de plus les haies et boisements de bordure des parcelles apportaient à l'automne par la chute des feuilles une part non négligeable de matière organique fertilisante.
Aux mimiques de son visage, je perçus qu'il n'avait pas assimilé dans l'immédiat mon discours.
En effet, pour lui, mouton rimait avec production de viande, rentabilité, sortie d'animaux pour la vente ....et donc "jardinage" et engraissement annuel des parcelles pour leur assurer avenir permettant de nourrir les animaux.
Il est parfois difficile de faire concevoir qu'on puisse élever des moutons pour son propre loisir, à titre de sauvegarde d'une race ou encore d'étude, voire comme animal outil permettant de conserver un espace ouvert (non repris par le boisement, comme il serait naturel qu'il le soit en l'absence de pâturage).
Parmi les multiples utilités des haies, les feuillages d'automne se retrouvant au sol contribuent à le fertiliser en créant humus, en particulier lorsque les parcelles ne sont pas trop grandes.
Pourtant en un siècle, ce serait 1 400 000 km de haies qui ont été rasés en France, pour agrandir les parcelles et les soumettre à une agriculture dite moderne.
Sous mon regard attristé, chaque année, ce sont encore des dizaines de kilomètres que je vois détruire dans ma sphère proche.
Devant ces phénomènes, je ne peux que sourire face aux gesticulations d'une COP 21, certes nécessaire, qui pourrait laisser penser que la garantie d'un avenir "meilleur" ne se limiterait qu'au souci des modes de production des énergies et de la limitation de l'augmentation moyenne de la température. Qui peut croire que 7 milliards d'individus seraient prêts à marcher dans la même direction alors qu'il suffit d'ouvrir les yeux sur l'évolution de l'espace sur chaque commune pour comprendre à quel point notre environnement proche ne fait que se dégrader... même si nous arrivions à moins polluer.
Bref, comme il faut déjà œuvrer à son niveau, chez les Lutins, les haies, bien qu'artificielles en soi puisque simplement formes anciennes séculaires de limites de parcelles, sont précieusement conservées car faute d'une naturalité réelle, elles sont bien préférables au vide et au néant que d'autres créent toujours plus par ailleurs.....
sans oublier l'engrais naturel qu'elles apportent aux prairies des Ouessant.