Il y avait un bout de temps que j'avais publié en catégorie "Autour des Lutins", pour parler de la faune qui m'intéresse d'ailleurs plus encore que le Ouessant, qui n'est qu'un artifice du domestique, il faut bien le reconnaître.
Pour s'émerveiller, nul besoin de tomber sur un oiseau d'Amérique du Nord ou d'Asie venu s'égarer dans l'hexagone ou encore de faire des kilomètres pour observer l'eider à tête grise qui stationne sur Fouras ces dernières semaines. Les oiseaux plus communs sont à même de fournir bien des surprises d'un autre ordre, tout en restant chez soi.
Depuis quelques semaines, les grues cendrées quittent l'Espagne (et la France) pour rejoindre leurs quartiers de nidification en Europe du nord.
Malheureusement pour moi, comme souvent en ce qui concerne la migration prénuptiale, le couloir de passage se trouve un peu décalé vers l'Ouest et jusqu'à aujourd'hui, je n'ai contacté que trois vols passant au-dessus des Lutins.
C'est peu mais cela m'a permis de faire une observation intéressante, une première après plus de soixante ans de suivis de la migration de cette espèce et des centaines et centaines de milliers d'oiseaux contactés.
Le 13 février dernier, il gelait encore bien même si la petite vague de froid allait se terminer. Les coups de froid ont pour effet de faire descendre des contrées plus nordiques, l'avifaune qui tentait d'y hiverner. Ainsi depuis janvier, les grives mauvis déferlaient par centaines sur mes houx (pour les baies). Bien d'autres passereaux suivaient le mouvement et il y a un mois, même une cigogne blanche ayant tenté hivernage au nord, filait vers le sud...
En ce 13/02, j'observais donc huit grues fuyant le froid. Je me surpris à imaginer, m'interroger si elles venaient d'Allemagne, du lac du Der dans la Marne ou simplement de la zone d'hivernage des départements voisins du mien plus au Nord.
Avant que ce petit groupe passe au-dessus de moi, dans le même temps, je perçus qu'un vol de 75 grues arrivait au loin du sud-ouest, pressé de remonter depuis les Landes ou l'Espagne. Deux vols aux intentions migratoires différentes allaient se rencontrer... et se rencontrèrent. Le plus gros vol se mit à cercler pour trouver ascendance d'air au-dessus de la colline des Lutins, le petit vol de huit oiseaux s'y joignant. Par ce froid, l'effet attendu fut limité et la troupe se décida assez vite de reprendre sa progression vers le nord-est.
Et là, magie ...! Scotché, je vis quelques oiseaux sortir de la troupe, sept exactement, et prendre la direction opposée. Les voyageuses pour le sud-ouest, sauf une, n'avaient pas été entraînées par le nombre et l'intention du gros groupe.
Ce fut là pour moi une observation des plus intéressantes du point de vue comportemental.
Qu'est-ce qui avait fait que l'effet de masse n'entraîne pas les huit (enfin sept!) grues?
Pourquoi l'une avait-elle suivi? Influençable ou simplement happée physiquement car mal placée dans la spirale?
Pourquoi les sept oiseaux étaient-ils demeurés aussi déterminés quant à leur direction de vol? D'autant quand on connait le côté grégaire marqué de cette espèce en période hivernale.
On peut également se demander si les sept oiseaux faisaient bien tous partie du groupe de huit initial.
Sur l'instant, je n'ai pas eu le réflexe d'essayer de déterminer si les sept oiseaux étaient des immatures ou/et jeunes de moins d'un an. Ce qui aurait pu expliquer que ces oiseaux n'étaient pas des plus pressés à remonter.
De toute façon, visibilité et distance ne m'auraient sans doute pas permis de trancher.
Une belle observation pour moi. Insolite. Qui m'a bien fait vibrer ...
Comme quoi le merveilleux est bien présent dans ce qui pourrait sembler bien ordinaire!
Bien malheureux doit être celui qui n'est pas en mesure de s'émerveiller au quotidien!
Alors qu'il suffit de regarder autour de soi, le merveilleux du vivant (ce dernier bien amoindri c'est vrai) étant partout... Prendre le temps ne serait-ce qu'un instant, d'écouter, de regarder... Savoir tourner la tête vers la grive, le triton, la coccinelle... éléments du réel qui nous accompagnent dans le fleuve du vivant. Le bonheur est bien dans le pré ... et autour du pré, voire au-dessus comme ce 13/02.