Frissons dans la voix ou ton désinvolte, tout dépend de chacun quand on aborde le thème de la consanguinité.
Petit rappel, le Mouton, forme mutante domestique du Mouflon, n'existerait pas sans un minimum de consanguinité dès les débuts de la domestication, ni même par la suite dans la construction des variétés ovines locales ou races actuelles établies. Simple constat.
Ensuite quand on dit consanguinité, encore faut-il préciser à quel niveau de parenté. Parfois jugée ombre maléfique parce qu'elle concentre des tares pouvant influer sur la survie des sujets produits ou parce qu'elle consolide des caractères s'éloignant d'un standard, la consanguinité peut être également considérée comme une aubaine pour conserver des qualités. Comme quoi les regards portés sur la possibilité d'une quelconque consanguinité sont variables. De plus, dans les esprits, en référence à l'espèce humaine et ses interdits, consanguinité et inceste s'entremêlent. Comme souvent, en élevage, la vérité se situe dans un juste milieu.
Pas question de faire un article doublon avec un autre déjà publié sur mon blog Consanguinité. , mais l'occasion m'est donnée d'apporter un petit plus, suite à une étude intéressante dont j'ai eu connaissance
Durant les siècles passés, sans souci alors des conséquences environnementales et écologiques au sens réel du terme, sur certaines îles lointaines, les navigateurs ont très souvent abandonné ou installé des espèces animales devenues invasives (domestiques ou pas), afin d'assurer des ressources alimentaires lors de futurs passages en ces mêmes lieux.
Concernant l'étude annoncée, voici les faits pas si éloignés de nous dans le temps.
En 1957, sur une petite île des Kerguelen (seulement 6,5 km2), l'Ile Haute, dans un souci de fournir de la viande aux équipes de scientifiques y séjournant, fut introduit un couple de Mouflon de Corse originaire du zoo de Vincennes. Deux ans avant, trois rennes avaient précédé les mouflons. Vers 1970 on comptait déjà une centaine d'animaux de chaque espèce. Le territoire étant limité et la nourriture devenant rare, bons nageurs, les rennes finiront en 1981 par gagner la grande île principale pour continuer à prospérer. Quant aux mouflons, sédentaires, leur population prospéra toujours pour atteindre une marge de fluctuations allant de 300 à 700 animaux. En l'absence de prédateurs, seules les conditions de vie, quantité de nourriture, climat et rudesse des hivers, sont les éléments de sélection naturelle qui ont opéré.
Tout cela est très intéressant puisqu'à partir de deux individus (peut-être déjà en parenté?) s'est construite une population viable de plusieurs centaines d'animaux en plus de cinquante ans. Un bel exemple de consanguinité à l'extrême. On imagine mal un éleveur de moutons d'Ouessant se constituer un troupeau à partir de deux sujets et élever durant 50 ans sans qu'on le qualifie de fou. Ce qui marche pour les mouflons ne serait pas acceptable en élevage ovin puisqu'il est inconcevable d'élever en perdant un très grand nombre d'animaux par sélection naturelle pour que seuls certains survivent. Ce principe va à l'encontre du principe de l'élevage où c'est surtout l'éleveur qui détermine les animaux qui doivent mourir ou quitter le troupeau, ainsi que ceux qui vont se reproduire, question de rentabilité.
En 2003 fut menée une étude sur le patrimoine génétique de ces mouflons des Kerguelen. Les résultats furent surprenants puisque les scientifiques s'attendaient à trouver des animaux homozygotes (identiques génétiquement) et que contrairement à cela ils s'aperçurent qu'au cours des décennies s'étaient constitués bon nombre d'animaux hétérozygotes (donc avec des différences génétiques). Si le temps semble trop court pour que des mutations soient apparues, il semble plus probable que ce sont les petites différences génétiques qui furent sélectionnées naturellement suite aux diverses contraintes du milieu.
Intéressant tout cela. Il apparaît qu'au moins dans certains cas, chez certains animaux "sauvages", qu'une très forte consanguinité ne mette pas en péril l'avenir d'une population. Cependant des exemples contraires pourraient être évoqués puisque certaines espèces en voie de disparition réduites à trop peu d'individus voient leur avenir compromis par le manque de diversité génétique.
L'intérêt de cette diversité demeure dans le fait que certains gènes peuvent à un moment ou un autre s'avérer bénéfiques ou du moins utiles en permettant aux individus qui les possèdent de survivre et se multiplier lors de changements de conditions de vie. C'est un peu comme dans ces ateliers où on garde tout, dans tout ce bric-à-brac tel clou rouillé ou fil de fer tordu trouve un jour son utilisation après avoir dormi longtemps dans un tiroir.
Pour revenir à nos moutons. Si donc la diversité est un atout pour durer, la consanguinité jusqu'à un certain point n'est pas forcément un handicap total en élevage. Le tout est qu'elle soit calculée.
Chez les Lutins, une bonne dizaine de souches (issues cependant de l'inévitable tronc commun des souches pionnières de la résurrection de ce type ovin de base) permet pour très longtemps d'assurer une diversité et une consanguinité limitée et gérée par calcul des accouplements au sein du troupeau.
Si viendra le jour de devoir apporter un peu de "sang neuf", il faut se rappeler qu'on ne construit pas en s'éparpillant et que moins on introduit d'animaux mieux se portera le troupeau qui se sera construit sur son propre territoire et dans les pratiques propres à l'éleveur.
Et comme je dis toujours, mieux vaut un peu de consanguinité dans un troupeau d'animaux rustiques et bien construits qu'une trop grande diversité dans un troupeau fragile et aux tares multiples.