Pas la mienne, celle de Kapouille des L. et fruit de sa passion avec Grichka des L.
Cachée non par honte, mais parce que l'incertitude quant à son avenir plana très longtemps sur cette naissance.
Tout avait commencé de manière classique le 28 avril dernier vers 20h.
Mon seul regret était que la journée avait été splendide et que l'évènement se produisait peu avant la nuit, dommage pour le jeune...
Enfin! Le petit (blanc) apparaissait.
C'est à cette seconde précise que je compris que les choses n'étaient pas normales. Un "chiffon blanc" pesant et inerte venait de toucher le sol.
En m'approchant, je considère l'agneau mort. Aucun mouvement, aucun cri. Que faire? Le balancer tête en bas, le secouer, le frictionner? Voyant qu'il respire, je laisse la mère oeuvrer. Mais toujours aucun mouvement après plusieurs minutes.
Je décide d'intervenir, place l'agnelle (c'est une fille , chic tout de même...) en position pour qu'elle se lève. Mais totale impossibilité. Cela fait déjà longtemps qu'elle devrait être en train de téter. Je ne mesure pas le temps qui passe et qui semble long, trop long.
Une "loque ovine" est devant moi. Aucun tonus. Elle pèse de tout son poids sur l'herbe...Et toujours aucun cri...J'analyse la situation et conclus que comme de toute façon elle ne sèchera pas correctement au sol, qu'elle ne pourra pas se nourrir, elle est perdue. Il ne reste qu'une solution, lui tendre la main puisque le hasard l'a placée sur mon chemin.
Je l'enlève à Kapouille qui devra vivre sa nuit de désespoir, seule.
Essuyée, sèchée au sèche-cheveux, gavée de colostrum (pas pris sur la mère pour ne pas lancer sa production de lait et qu'au contraire elle tarisse ensuite). Ma nuit fut bousculée bien des fois pour assurer le service et vérifier la situation. Mais au matin, après quelques heures de sommeil tout de même, je découvre la pauvre chose informe de la veille dans un meilleur aspect. C'est pourtant toujours cette petite masse blanche inerte (baptisée Fantômette) qui ne fait que respirer...et digérer.
Carence? Prématurée? Handicapée? Une visite chez le véto ne m'en dira pas plus mais m'équipe en antibiotique de circonstance, produit énergisant et vitamines. Je tente de la faire boire du lait reconstitué pour qu'elle s'hydrate tout de même, mais ses difficultés à déglutir me font me tourner vers des injections régulières de sérum glucosé.
Une journée d'incertitudes et de questionnements passe. S'en sortira-t-elle? Ne me suis-je pas engagé dans une voie sans issue? De toute manière, il serait stupide de faire marche manière et il ne reste qu'à espèrer.
Une nouvelle nuit en pointillés passe en ayant fait le maximum. Je m'octrois quelques heures de sommeil, me surprenant à penser, trop exténué, que de toute façon vivante ou morte je verrai le lendemain.
Et le lendemain, Fantômette est toujours vivante. J'essaie de la mettre debout comme je l'avais fait sans succès la veille. Et là, miracle, elle réussit à garder la position en tremblant, sans pouvoir soutenir sa tête. C'est déjà un énorme progrès.
Plusieurs fois dans la matinée, je l'exerce à cette position...Dans l'après-midi, elle réussit à déplacer les pattes, marcher serait un grand mot.
Durant ce second jour, elle bénéficie de son traitement mais cette fois je tente de la faire boire au biberon. Impossible, je continue avec la seringue glissée à la commissure des lèvres.
En soirée, chancelante, elle se déplace pattes tendues à la verticale et cou à l'horizontale.
Je considère cette raideur comme étant du retard dans ses facultés locomotrices quand tout à coup, je la vois tomber dans des convulsions à l'issue desquelles je pense la retrouver morte d'autant que le coeur en subit les conséquences. Que faire? L'achever? Dans les moments où les choses redeviennent normales, je cherche à comprendre. En fait, elle est hypersensible à toute stimulation de l'extérieur, bruit, petit heurt,... qui la font réagir au-delà de la normale dans ces paniques convulsives. Je m'aperçois que ce sont des crampes, tétanie musculaire qui ne cesse que lorsque je plie les pattes. C'est bien cela car les crises sont nombreuses et je fais le même constat à chaque fois.
Je comprends mieux alors cette grande difficulté à déglutir qui correspond à la crispation de la mâchoire. Carence en magnésium? Il faut tenter. Impossibilité de faire une injection intra-veineuse sur un si petit corps. Je choisis la solution orale "en mettant le paquet" après avoir réduit en poudre un cachet de magnésium (heureusement présent dans un placard).
Nouvelle nuit difficile, car à présent Fantômette ne peut pas se coucher à cause de ses membres et corps raidis. Il faut que j'intervienne régulièrement pour opérer un pliage d'agnelle(!).
Le lendemain, la vie est toujous là. Les prises régulières de magnésium semblent être à l'origine de la disparition lente mais progressive des crises de tétanie même si la raideur demeure perceptible. Je passe au biberon non sans devoir nettoyer les dégâts. Je n' en veux pas à Fantômette, c'est elle la plus à plaindre. Je l'oblige malgré ses handicaps à passer ses journées dehors, ne l'autorisant à retrouver son carton près du lit que pour la nuit.
Queques jours passent et elle arrive de mieux en mieux à se coucher.
Une semaine déjà. L'allure n'est pas très habituelle mais la forme est là. Et puis, elle découvre le monde et les autres habitants des lieux, ce qui est bon pour elle se construire intérieurement.
Maintenant, Fantômette a plus de deux semaines. Elle m'accompagne plusieurs fois par jour parmi les autres Lutins pour s'habituer à une vie future que je lui souhaite la plus normale possible. Elle ne prend plus de magnésium. Elle boit bien ses biberons mais très salement; elle manque encore un peu de coordination.
Elle fait le "cou de girafe" sur la photo parce qu'elle me cherche. Cette allure de sous-marin qui a sorti le périscope tient au problème que le cliché suivant dévoile.
Fantômette est mal voyante. On remarque que la pupille est dilatée à l'extrême; l'iris jaune n'est pas perceptible. Le règlage ouverture-fermeture ne se faisant pas, elle est éblouie par la lumière du jour et se montre plus à l'aise en soirée et début de nuit. Elle me perçoit à environ six mètres maximum et sans doute mal. Tout comme elle semble avoir de la difficulté à discerner la tétine de son biberon.
"Alain A... si tu me lis et que c'est dans tes possibilités, je suis intéressé par une paire de lunettes pour agnelle d'Ouessant avec la seconde paire en solaire gratuite bien sûr."
Handicapée à vie la Fantômette, certainement. Je lui fais tout de même confiance pour compenser ses difficultés par le tactile et l'olfactif, c'est ce que je mets en oeuvre dans son éducation actuelle.
De plus sur cette photo, on la voit qui m'appelle. Je ne risque pas de l'entendre car elle n'a toujours pas de voix, ou si peu que c'est inaudible.
Je l'habitue à vivre une vie de future brebis, à découvrir l'herbe qu'elle va bientôt pouvoir mâchouiller et avaler ainsi que les boulettes d'argile qu'elle a déjà découvertes d'elle-même. Le copain Titi (l'autre biberon) est là pour la rassurer par sa présence. Il sait ce qu'est une vie d'orphelin et semble lui jeter un regard bienveillant.
Elle a trouvé dans la minuscule Lutine, douceur, complicité et une compagnie qui lui correspond en âge. Depuis hier, elle passe des heures avec tout le monde non sans angoisse dans cette épreuve de séparation d'avec moi. Mais c'est pour son avenir. Cette nuit fut la dernière à la maison près de moi. Ce soir sera donc une nouvelle grande épreuve pour elle.
Mais je ne l'abandonne pas totalement puisque dans la journée je lui rendrai des visites...et puis il y aura encore plus deux mois de distribution de biberons.
Quel sera l'avenir réel de Fantômette? Nous verrons.
Face à la question intervenir ou pas, j'ai la certitude à présent d'avoir fait ce qu'il y avait à faire; c'est déjà bien fantastique ainsi sous certains angles. Je ne regrette rien si ce n'est pour elle ce handicap...