On considère souvent comme une réussite en un troupeau le fait d'avoir homogénéisé l'ensemble de ses animaux?
Mais est-ce forcément une réussite?
Peut-être que oui si on voit les choses sous l'angle du travail accompli pour en arriver là! Pourtant il ne faut pas exclure
que ce résultat peut être (simplement) le fruit d'une grande (trop grande?) consanguinité, le mérite devenant moindre.
Et puis quelle est la direction de cette homogénéisation? Le pire ou le meilleur?
Le meilleur serait à définir... correspondrait à la tendance du moment? ou le goût personnel? ou le cadre du standard? un peu
tout à la fois?
Ce sont des questions parmi d'autres que je me pose quand je suis au milieu de mon troupeau.
N'y aurait-il pas contradiction à vouloir avancer vers l'homogénéisation d'un type ovin ancien? On met souvent en avant la
richesse de la diversité au sein des races anciennes en opposition à la standardisation des races modernes, en particulier quand elles sont poussées dans la spirale du productivisme, chaque
animal semblant presque la réplique de son voisin.
A l'heure actuelle, on rencontre diversité de formes et caractères parmi les différentes souches Ouessant considérées proches
du Ouessant ancien originel. En poussant à l'extrême, au bout de quelques années se dessine presque un type par éleveur....phénomène normal du fait d'un élevage en multiples
micropopulations qui ne sont plus ouvertes à toutes les autres pour le brassage de leurs gènes. Ainsi devant mes animaux, comme chaque éleveur, je suis contraint à des choix qui
orientent l'avenir du troupeau dans sa composante. Plus j'avance, plus je me dis que les choses sont complexes, notre perception commune ou individuelle du Ouessant pouvant l'emmener peut-être
bien loin de la réalité de l'animal, en référence à une démarche conservatoire et de sauvegarde bien entendu.
Pour ne prendre que les deux exemples qui suivent (sans que la coloration de toison n'entre en ligne de compte).
...
Face à Neige, prix d'honneur 2010, dois-je décider d'orienter mon troupeau dans cette qualité puisque c'est le type de mouton
d'Ouessant apprécié? C'est tentant forcément, pourtant je réalise bien que cette appréciation du beau mouton d'Ouessant est sans doute sous l'influence inconsciente de cette
conception face à nos races plus modernes et de rente (sans exclure des notions d'harmonies "architecturales").
Face à Clarice, laissée sur la touche au concours 2010, dois-je décider de m'en détourner pour autant pour
ne produire que de l'apprécié? Pourtant cette brebis est sous mes yeux une merveille et correspond à l'image type que je me suis construite du mouton d'Ouessant de type ancien à travers
divers documents.( Rien de nombriliste en ces propos puisque cet animal n'est pas de ma production.) Fausse représentation? Pourtant au plus profond de mon être je vibre
devant ce type qui s'inscrit dans le profil du Ouessant souvent décrit comme "malingre, petit, pas forcément bien structuré et vêtu d'une toison primaire".
Cette problématique est une des raisons parmi d'autres qui m'ont fait me détourner des concours. Non pas parce que cette
brebis n'a pas été primée, mais parce que je considère de plus en plus que juger des Ouessant sur une "beauté hypothétique" c'est faire fausse route. Le Ouessant n'a jamais été fait pour être
beau. Il me semble de plus en plus important (et urgent) de par contre définir parmi les milliers d'animaux actuels qui n'iront jamais en concours, quels sont ceux qui entrent dans le
cadre Ouessant ou pas (avec éventuelle appréciation). Ce sont eux qui dessinent le cheptel actuel de ce mouton. C'est sur ces bases qu'une sauvegarde réelle pourra se construire
et qu'on considérera alors que cet ovin est véritablement sauvé.
Enfin, j'ai en fait trouvé réponse à mes questions depuis longtemps. Au sein de mon troupeau, dans le cadre d'une
certaine homogénéité de taille toute relative dans une fourchette de 4 cm, je considère important de conserver une certaine diversité de morphologies, car là-aussi ce minimum de diversité doit
être considéré comme une richesse, une des richesses des types domestiques anciens. Bien des Neige, des Clarice... et bien d'autres formes encore continueront à voir le jour
chez les Lutins tout en garantissant le Ouessant et son avenir.