Première véritable neige. Elle est tombée toute la matinée.
Quand l'accalmie arrive en début d'après-midi, toute la bande des brebis est encore bien désorientée.
On se concerte un instant. Il faut bien prendre une décision avec ces six ou sept centimètres de poudreuse qui recouvrent les
prairies.
Plus qu'à l'ordinaire, Réglisse me jette ce regard interrogateur dont elle a le secret. Mélange d'attente et de flux qui
semble vous sonder l'âme.
C'est en ces circonstances hivernales que la toison primitive de type nordique trouve sa réelle utilité. La croûte verglacée
au bout des mèches ne contrarie en rien la bonne isolation procurée par la laine.
C'est décidé. Il faut se mettre au travail.
On jette à peine un regard à l'abri où on s'est agglutiné durant des heures. On délaisse le foin. La décision à l'unanimité
fut de gagner les prairies malgré leur manteau blanc. L'herbe verte, cela se mérite et ce n'est pas un peu de neige qui va vous arrêter un Ouessant!
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Pourtant la bande finira par revenir pour la distribution d'orge qui fut particulièrement appréciée aujourd'hui. La
semaine s'annonçant bien froide, je pense que la ration de 100g quotidiens va passer à 120-130 ou plus, progressivement, surtout si la neige doit rester et rendre l'herbe moins
accessible.
Mes loups mutants étant partis en balade, j'ai dû préparer les auges, à l'écart, dans la cour pour être tranquille
durant l'opération. Une première. Aussi en bon Lutin rassasié, la curiosité prend vite le dessus sur le ventre. Certains s'empressent de partir en exploration sur ce nouvel espace.
Le chèvrefeuille en verdure fait des heureux. Le berger remet vite de l'ordre. Chacun chez soi.
Il faut ensuite redéposer une couche de paille neuve dans le coin bergerie. Les toisons dégoulinantes et le piétinement ont
bien détrempé la couche. La paille de céréales étant plus absorbante que des refus de foin, la nuit noire et froide qui attend ce petit monde devrait être ainsi adoucie.
Et puis il y a les autres dans les autres parcs à ne pas oublier.
Ainsi va la vie chez les Lutins. Derrière le labeur se loge la satisfaction de pourvoir aux besoins et au bien-être de
ses protégés. Et le jour où le plaisir n'y est pas, cela demeure l'obligation de tout bon berger... Il faut toujours garder à l'esprit que l'animal domestique est un prisonnier, parfois esclave,
dont le sort dépend totalement de celui qui l'élève.