Une première fois, il y a quelques années, un agneau se chaussait d'une coque de noix bien coincée que je dus lui enlever alors qu'il boitait depuis plusieurs jours.
La probabilité pour que ce genre de mésaventure arrive me semblait particulièrement faible...
Et pourtant, hier c'est sur une brebis adulte que je suis intervenu de nouveau. Je voyais cette femelle boiter et songeais à un amas de terre sèche entre les onglons qui pouvait être la cause de son handicap. A ma grande surprise une coque de petite noix enserrait cette fois un seul des deux onglons d'une patte. Quand on prend en considération que là encore aucun noyer producteur ne se trouve sur le domaine des Lutins, on réalise la probabilité plus que faible pour que la mésaventure arrive.... Mais c'était sans compter un corvidé farceur qui a certainement abandonné la coque de sa gourmandise en les lieux.
Jamais deux sans trois?
Depuis 48h, il fait un temps splendide au dessus des Lutins.
L'occasion pour le berger de s'octroyer un moment de flânerie parmi les reproductrices.
Le regard fait d'abord le compte pour vérifier que tout le monde est bien là et qu'il n'y a pas à s'inquiéter.
Le regard s'assure de la bonne forme de chacune.
Le regard prend aussi le temps de savourer l'instant.
Le regard est là pour aussi s'assurer des formes de chacune, révélant l'avancement de la gestation.
Le regard analyse, s'interroge, doute, se rassure devant chacune.
Le regard conclut que dans deux semaines, le ou les premiers agneaux devraient gambader sur la prairie comme il a déjà été calculé sur le calendrier.
Patience!
Le groupe des béliers bénéficie également du régime céréales depuis début février.
J'avais "dérangé" la fine équipe de mâles alors qu'elle était sur un autre parc ensoleillé à proximité des femelles.
L'heure c'est l'heure. Aussi, la ration vite engloutie, les plus pressés repartent au parc en question. On ne rate pas les rituels quotidiens.
Mais bien vite ils rejoignent la colonne. Voir les filles, un instant que seule la gourmandise pouvait retarder un peu...
Les quelques pertes quotidiennes d'orge et d'avoine vont profiter aux pies et corneilles, comme aux bruants jaunes, pinsons et moineaux qui ont vite trouvé ces restes. Une aubaine pour ces granivores.
Demain, au plaisir des bestioles à poils succédera encore celui des bestioles à plumes.
Ce qu'il en reste, avec le souvenir, car l'animal était parti à l'équarrissage comme l'exige la règlementation.
Une dizaine de mois après l'événement, je redécouvre la seule part concrète qu'il me reste de mon bon Grichka dont la corne m'était restée dans la main du fait du mal qui le rongeait.
J'avais placé cette corne sur un mur pour que fourmis et soleil la nettoient (c'est chose faite) et l'avais totalement oubliée là.
Petite émotion quand je retombai sur ce souvenir.
Retour des mâles reproducteurs, il y a quelques jours, auprès du lot de béliers qui ne l'étaient pas.
Les plus vieux de ces célibataires s'intéressent immédiatement à cette chaire nouvelle, d'autant qu'elle doit transporter quelques effluves des brebis tout juste délaissées.
Les plus jeunes vaquant en bande à leurs occupations n'ont pas encore perçu l'événement.
C'est du regard qu'ils réagiront d'abord par la suite, percevant à cinquante mètres ces nouvelles physionomies intrigantes, fixées longuement.
Qu'ils soient d'un parc nord, sud, ouest ou est, tous les groupes de reproductrices se trouvent réunis avec l'an neuf.
Les clôtures de séparation ont été ouvertes en ce premier janvier pour donner liberté de mouvement et espace.
Le troupeau éclaté depuis le 15 octobre dernier savoure les retrouvailles; du moins la troupe des reproductrices de la saison.
Ma joie n'atteint sans doute pas la sienne, mais ce moment est également un plaisir pour moi. En effet, si les séparations sont obligatoires pour former les lots de reproduction et que l'idée de jolis agneaux au printemps me séduit, ces séparations donc, me chagrinent également car je sais les animaux psychologiquement perturbés durant quelques mois.
S'il ne faut pas surestimer les Ouessant, il ne faut pas pour autant les sous estimer. Il suffit de les voir se languir les uns des autres pour comprendre leur attachement, ce que confirme les retrouvailles. Ils se connaissent et reconnaissent tous. Par la réunification, on perçoit immédiatement et par la suite le calme et la détente intérieurs qui se réinstallent en chaque animal après des semaines d'un tempérament plus en alerte. L'union ferait-elle la force?
Et puis il y a les agnelles qui, séparées de leur mère depuis onze semaines, la reconnaissent immédiatement, se ruant quelques secondes à la mamelle en réaction de souvenirs de leur "petite enfance" qui refont surface.
Bref, un moment de pur bonheur pour les quadrupèdes laineux et le bipède non laineux.
Seul un bélier chanceux est laissé avec la belle troupe de filles, afin de féconder les mois prochains quelques brebis qui seraient encore non gestantes malgré leurs noces à l'automne avec leurs époux officiels respectifs.
Automne humide et doux. Début d'hiver toujours doux également... et en plus, beau!
Aucune corvée de foin à ce jour, celui-ci étant délaissé par les moutons, preuve que l'herbe est encore suffisante, nourrissante et appétante.
Mais janvier et février vont suivre et il n'en sera sans doute pas de même.
Chez cet autre, la balle de foin n'a même pas encore été entamée par les Ouessant et elle attend sous sa capuche de pluie.
Les filles célibataires se languissent surtout de ne pouvoir vivre l'ambiance du troupeau réuni. Encore quelques mois de patience!
Amateur de ligneux de par un besoin de cellulose, seul le clan des grandes oreilles me contraint à quelques rares affouragements. Toutes les deux semaines seulement, au lieu de deux fois par semaine en période critique. Comme quoi c'est bien un climat printanier qui domine sur le domaine des Lutins jusque là ...