Il était une fois dans le Berry proche de chez moi, une chèvre de type local dont certains se sont inquiétés, il y a quelques années, de ne plus la rencontrer dans les campagnes. Cette chèvre était même considérée comme étant définitivement disparue. Pourtant, dans son film "Jour de fête", Jacques Tati l'avait immortalisée dans ce plan où on voit un jeune animal tenu par une grand-mère sur la place du village de Sainte Sévère. C'était la "chèvre à cou clair du Berry" ainsi nommée communément de par son morphe caractéristique.
Et, comme heureusement parfois dans d'autres situations similaires pour d'autres "races" anciennes, quelques exemplaires furent miraculeusement retrouvés pour pouvoir prétendre constituer un noyau d'élevage et de sauvegarde de ce type qui faillit partir aux oubliettes...
Comme un peu partout en France, les races caprines Saanen et Alpine avaient supplanté les types locaux dans une perspective de politique agricole nouvelle et de rendement durant le 20ième siècle.
Et pourtant...à y regarder de plus près "la chèvre à cou clair" n'est pas le type local encore antérieur, lui, mais le fruit d'un métissage de celui-ci avec la "chèvre alpine". Sacrilège! Jetez-moi tout cela ! Non, heureusement, certains se sont intéressés à ce type qui avait prospéré au point de devenir durant des décennies le "nouveau" type local et qui faillit disparaître de peu.
Tout cela pour revenir à nos moutons.
Voilà un bon exemple pour comprendre que ce qui fut un temps une nouveauté est aujourd'hui un témoignage du passé. Les divers types domestiques de quelque espèce que ce soit se doivent d'être conservés, d'abord à titre patrimonial et de témoignage, ensuite...j'avoue que ce n'est plus tellement mon affaire, un animal m'intéressant pour ce qu'il est et non pour ce qu'on en fait.... Le présent d'hier est notre passé d'aujourd'hui, et notre présent est le passé de demain.
Tout cela pour une fois de plus présenter si nécessaire ma démarche au sein de mon troupeau de moutons d'Ouessant. Je ne reprendrai pas ce que j'ai maintes et maintes fois pu écrire dans divers articles pour ne pas lasser, mais tiens à en présenter encore les axes principaux.
Les Lutins du Montana, un élevage pur plaisir et donc de loisir, mais un élevage conservatoire du Mouton d'Ouessant type ancien et d'amélioration dans le cadre du standard actuel.
Conservatoire des souches anciennes retrouvées (par les initiateurs du GEMO uniquement) et de la diversité qui peut s'exprimer au sein de ces souches, en particulier pour les colorations des toisons.
Conservatoire des influences avérées dans l'histoire de ce type ovin Ouessant ancien, que sont les conséquences du métissage avec des animaux blancs extérieurs à l'île à la charnière 1900 et avant. Mais aussi conservatoire des influences sur le continent par la suite durant le 20ième (qui d'ailleurs souvent nous échappent mais sont bien là). Ainsi que, pour finir, ces influences externes de ces dernières décennies en milieux associatifs (exemple de métissages avec d'autres ovins primitifs), pour la raison qui rejoint l'histoire de début d'article de cette"chèvre à cou clair", c'est à dire que la nouveauté d'aujourd'hui sera l'ancienneté de demain. Mais pas question pour moi de créer des nouveautés, mon travail ne voulant qu'être le témoignage d'une partie de l'histoire du petit Ouessant de type ancien, de ce qu'on en connaît dans le passé à nos jours, dans ses aventures et mésaventures.
D'ailleurs, je me fais un principe de conserver au maximum la génétique des souches pionnières du GEMO. Les influences externes citées ne sont introduites qu'à dose homéopathique, à titre de témoignage visuel, dans une reproduction calculée et gérée (m'interdisant par exemple l'accouplement de certains individus entre eux selon leur patrimoine) afin de pouvoir prétendre que mes moutons sont bien possesseurs à 99,9 % ou encore 99,99 ...% du patrimoine génétique de ces souches pionnières du GEMO qui servent de référence Ouessant. Il en faut forcément une.
Amélioration? A comprendre du point de vue des caractéristiques physiques déterminées par le standard. Caractéristiques qu'aucun élevage, à ce que j'ai pu en voir, n'a pu globalement atteindre à ce jour ( le mien y compris).
Voilà. Tout cela est bien compliqué et est un travail de longue haleine avec de très nombreux critères de sélection. Mais tout cela est bien passionnant, fait tout l'intérêt de mon travail d'éleveur et sans doute l'unicité...
Dans le cours du grand fleuve de l'histoire de la domestication ovine et l'évolution des animaux dits d'Ouessant, le travail du berger des Lutins est d'en conserver les différents méandres et confluents que nous pouvons en connaître ...
...conserver le Ouessant dans son aspect d'avant hier....
... conserver le Ouessant dans son aspect d'hier...
...et aussi dans ses aspects d'aujourd'hui.
A quand un groupe de personnes pour s'intéresser également par la suite à la sauvegarde du type nouveau élevé actuellement sur l'île d'Ouessant et qui représente une étape tout aussi importante que d'autres dans l'évolution du cheptel ouessantin? Un Ouessant moderne certes mais un véritable mouton d'Ouessant avec les pieds sur Ouessant, lui.