Pour moi, la passion du Ouessant est indissociable de celle de la prairie. Ce type de milieu et ses abords sont tout autant un plaisir pour le regard qu'une source
inépuisable de rencontres avec les vies de ce microcosme.
Chaque prairie a sa propre personnalité, sa propre identité. Sa superficie, sa forme, son relief ainsi que les éléments qui la parsèment ou l'entourent lui donnent
une allure unique.
Celle sur laquelle on a su conserver des arbres et dont on n'a rasé ni les haies ni les talus a ma préférence. Si de plus la mare ancestrale qui s'y
trouve n'a pas été comblée par briques, tuiles et autres bétons, c'est un véritable petit joyau. Quelle misère que la "parcelle tapis d'herbe" réduite à sa plus simple expression bien souvent
sous forme de rectangle parfait, plombée par le soleil et dont on ne dicerne la limite que par la clôture électrique ou le barbelé!
Les Lutins, au fil des mois, profitent de diverses prairies que j'aime retrouver tout autant qu'eux, pour des raisons différentes. Je crois connaître ces
lieux par coeur. Pourtant, chaque jour, je les découvre ou les redécouvre, toujours surpris par telle ou telle chose que je n'avais pas remarquée jusque là et pourtant bien
présente dans les lieux. De plus, selon la saison, selon la lumière, le ciel, la pluie, la neige,...les prairies sont changeantes mais toujours aussi séduisantes.
Petite visite pour faire connaissance avec celles des Lutins. Chacune des pâtures a son nom, prolongement de son identé visuelle ou autre.
"Le petit jardin", petit clos de 1000 m2 aux abords de la maison. La mare artificielle d'allure naturelle s'ajoute au charme des lieux et accueille le monde
des batraciens (9 espèces), insectes aquatiques ... tout en offrant le bain et l'eau aux oiseaux. Les moutons n'hésitent pas à s'y abreuver.
"Le grand jardin" de 2500 m2 correspond dans la réalité à cinq parcelles différentes, témoignage du partage des lieux dans le passé.
J'ai baptisé cette pâture de 1000 m2 "Le roncier", du fait que quand je l'ai acquise, il y avait bien longtemps qu'elle était abandonnée. Plus un brin d'herbe
ne poussait, les ronces plus hautes que moi recouvrant le sol et le boisement ayant commencé sa colonisation. Sueur et huile de coude ont fait le reste tout en préservant quelques uns des
bouleaux qui s'étaient installés.
Petite clairière pentue de 2000 m2, "Le Temple" incite au recueillement et à la méditation, en particulier au soleil levant quand les rayons filtrent à travers
les feuillages dans une atmosphère brumeuse.
"La gratinière", avec ses 2800 m2, porte ce nom dans les anciens actes de vente. Depuis quand la désigne-t-on ainsi? Histoire mystérieuse du lieu.
Etait-ce lié aux épineux ou ronces qu'on pouvait trouver et sur lesquels on s'égratignait? Peut-être qu'une fausse piste...
Le côteau des "Trois frères", de par les trois grands chênes plusieurs fois centenaires (dont on n'aperçoit que l'ombre sur la photo), offre 3600 m2 aux
Lutins.
"La Côte d'Azur" avec ses 7100 m2 de pente tournée vers le soleil offre une vue panoramique. Cette orientation vers le Midi fait que la parcelle est vite
grillée en été.
"Le petit champ", ainsi nommé par la grand mère qui se souvenait des périodes de mise en culture de ce terrain, possède encore le muret de blocs de schistes
doublant le talus sur 150 m de limite de ses 8000 m2 mourant en pente douce vers le nord.. Muret encore en bon état comme sur cette vue mais écroulé en de nombreux endroits. Alignement
pillé également dans le passé pour en réutiliser la pierre dans d'autres constructions ou simplement remblayer les chemins boueux, mais je le préserve précieusement à présent.
Par toutes ces géométries parcellaires et ces quelques vestiges, comment ne pas être envahi par la curiosité d'un passé qu'on foule du pied et que notre regard nous
amène à imaginer. C'est tout ce à quoi je pensais (et pense encore) quand sur tous ces terrains j'ai oeuvré à éliminer deux à six mètres de ronces et taillis sur l'ensemble des bordures. Je
revoyais cette forêt qui recouvrait tout partout sur la région comme en Europe avant que les bipèdes ne lui infligent le sort qu'ils répètent à présent en Amazonie, Indonésie et
partout ailleurs. Je revoyais ces hommes qui sur des siècles et encore des siècles avaient modelé avant moi ce paysage successivement différent pour me l'offrir ainsi à
présent. J'imaginais chevaux, boeufs, gens et leurs cris, leurs rires, le bruit de leurs outils, tout leur travail, les joies et les drames, les communnions et conflits sur ces
lieux...toute cette somme d'effervescence sur des générations et des millénaires dont seule cette nature jardinée en est le témoignage. Préserver ce petit parcellaire est un
de mes buts également pendant qu'ici et là tronçonneuses et grosses machines infernales rasent, râclent, creusent, comblent, drainent....pour installer le désert de la rentabilité. La fin
justifierait les moyens...
Me constituer un modeste domaine-musée témoignage d'une époque révolue peut sembler dérisoire et l'acte d'un doux rêveur. Mais cette petite goutte d'eau dans
un monde toujours un peu plus avide et dévoreur, cette petite dose homéopathique peut aider à soigner, si on y croit, une planète bien malade dans l'espoir qu'elle guérisse, tout en se
préservant une qualité de vie.
J'essaie quotidiennement de prendre un moment pour faire le tour de toutes mes parcelles, une manière de les savourer sans forcément la présence des moutons. Moment
d'observation, de contemplation et de réflexion. Le bonheur est bien dans le pré.
Puisse ce blog donner envie de préserver le Ouessant tout en le respectant mais également de sauvegarder ce qui l'entoure ou encore recréer ce qui a été détruit. On
est capitaine de sa vie et on est l'architecte du monde que l'on se veut ...