Sauvegarder le Ouessant se mène (devrait se mener) en deux axes de travail intimement liés:
la conservation des caractères morphologiques de ce type ovin, avec en particulier le respect du standard concernant les
maxima pour la taille au garrot (en rappel 46 cm pour la brebis et 49 cm pour le bélier, adultes de trois ans)...,
mais aussi, ce qu'on oublie trop souvent, la conservation de la "matière Ouessant de type ancien", patrimoine génétique. En
effet, il ne suffit pas (plus) qu'un mouton ressemble à un Ouessant pour qu'il soit réellement Ouessant dans sa composante. Donc la seule base réelle de travail actuelle concerne les souches
pionnières du GEMO qui font référence (dans l'attente d'éventuelles découvertes de nouvelles souches tout aussi intéressantes historiquement), mais que par honnêteté intellectuelle personne
ne peut cependant prétendre être avec certitude de purs animaux issus en ligne directe de la population originelle ancienne insulaire du 19ième siècle, faute d'informations dans ce sens
et l'absence d'un suivi précis des méthodes d'élevages de ces noyaux continentaux résiduels durant bien des décénnies avant leur découverte.
Ce second aspect est des plus importants puisque sans cette préoccupation le risque est de ne plus se retrouver devant des
moutons d'Ouessant de type ancien, ce qui est pourtant l'axe principal d'une démarche conservatoire, mais devant des ovins de petite taille d'allure Ouessant, MAIS qui risquent
d'avoir perdu une partie du patrimoine génétique d'origine tout en ayant été pollués par d'autres races en des proportions inconnues.
Malheureusement, il est souvent bien difficile pour un éleveur de savoir si ses animaux déjà
possédés sont véritablement des Ouessant ou de simples métis. La plupart des acquisitions de cet ovin correspond à ce qu'on pourrait appeler du mouton d'Ouessant "tout venant", c'est à
dire sans origine précise connue. Une poignée d'éleveurs seulement peut cependant prétendre avoir un suivi de ses animaux de génération en génération depuis la constitution de ces fameuses
souches pionnières.
Repartir à zéro n'est pas forcément la seule solution si on souhaite mener un élevage sérieux alors qu'on possède déjà une
troupe d'origine non certifiée. Il y a moyen de "rectifier le tir".
Petite recette de pure logique à mener alors avec tout animal d'origine inconnue afin de ramener son troupeau dans le droit
chemin des souches pionnières. Il importe d'abord d'acquérir un ou des Ouessant de ces souches pionnières (en gardant à l'esprit que se les procurer chez une personne qui se déclare être au
Gemo n'est pas une garantie en soi s'il n'y a aucune trace d'origines et de suivis au sein de cet élevage). Cette quête d'acquisition est en fait la seule réelle difficulté puisque la suite
n'est que patience dans un travail d'élevage calculé et passionnant.
Un Ouessant tout venant qui aurait tout de l'allure de ce type mais aussi une taille correcte peut prétendre être au
pire d'une composante 1/2 de race extérieure (non Ouessant) sinon mieux 1/4 selon les éléments en notre possession, dont l'observation des parents.
Il convient alors de convenir d'appliquer rigoureusement le principe suivant:
d'abord accoupler ses animaux à un animal de souche pionnière, puis par la suite, toute naissance obtenue sera
elle-même systématiquement accouplée à un individu garanti en souche pionnière et ainsi de suite pour toute nouvelle génération.
Ainsi à chaque nouvelle génération, le ou les jeunes obtenus, voient leur composante génétique en souche pionnière
augmenter et celle en une race inconnue (ou connue mais indésirable), réduite de moitié.
Si on imagine ainsi à titre d'exemple un dit Ouessant possèdant 1/4 de Shetland (cas très fréquent), en appliquant les
principes exposés ci-dessus, ses descendants au cours des générations suivantes n'auront plus que 1/8, puis 1/16, puis 1/32, puis 1/64, puis 1/128 de cet ancêtre Shetland connu. C'est à dire
qu'au bout de la symbolique septième génération, la part indésirable du Non Ouessant est devenue négligeable et que le produit ainsi obtenu peut être considéré revenu en race "pure". En
effet, à titre de comparaison, les 1 à 4% d'Homme de Néandertal qui, paraît-il, sommeillent dans mon patrimoine génétique (et le vôtre) ne seraient pas perceptibles. C'est là que pour
revenir au Ouessant de septième génération à intrusion extérieure diluée, il importe tout de même de s'assurer qu'au moins aucun caractère indésirable perceptible n'ait été transmis.
Il convient évidemment d'écarter de la reproduction au fur et à mesure des années les moutons qui ne sont pas
de 7ème génération, à moins de les utiliser dans des nouvelles lignées de travail allant dans ce sens de reconstruction.
C'est ainsi que fut créée Châtaigne des Lutins, première Ouessant brune en patrimoine assuré de souches pionnières, sur ce principe appliqué des
sept générations afin d'éliminer de façon certaine la composante indéterminée de l'autre race ayant au début des années 80 contribué à l'apparition de ce morphe brun en Belgique.
Tout en oeuvrant durant ces années, il m'importait de conserver la couleur brune, but de ce travail.
A noter que ce gène étant récessif, il fallait concevoir que les deux branches parentales soient travaillées parallèlement en
souches pionnières ayant hérité du gène brun. Si donc le principe des 7 générations de dilution reste de circonstance, dans la pratique face à ce cas précis, il fallut plus que sept
années de travail. Dans les faits neuf suffirent bien que la malchance aurait pu décider de devoir attendre plus longtemps encore. J'estimais au moins une dizaine d'années nécesaires quand
je me suis lancé dans cette aventure.