Le mouton est assez souvent considéré dans le monde animal comme un sombre imbécile. Cela tient au fait qu'après 10 000 ans de domestication, les nombreuses
mutations physiques qui l'ont construit n'ont que peu altéré ses comportements. Les ovins sont ainsi demeurés très grégaires mais aussi émotifs, réponses trouvées durant l'évolution des mouflons
(leurs ancêtres) face au danger représenté par les prédateurs.
D'où ces mouvements de masse et réactions d'inquiétudes qui les animent souvent. Comme on dit parfois, rien de plus stupide qu'un mouvement de foule puisque
l'individu perd son identité et devient en quelque sorte simple cellule d'un groupe devenu organisme en mouvance. Moutons de Panurge...les humains ne devraient pas avoir ce regard ironique
sur les ovins s'ils voulaient bien se donner la peine d'observer leur propre espèce et analyser leurs propres comportements.
Tout comme on ne sait pas tout ce qui se passe dans la tête de ses voisins ou de toute personne en face de soi, on ne peut connaître ce qu'il en est dans celle des
moutons et pourtant les premiers expriment bien plus de choses qui nous sont décodables que les seconds.
Au-delà des discussions stériles autour du mot intelligence, il est plus simplement intéressant de découvrir à l'occasion d'observations les capacités des
divers êtres vivants (ou individus dans une espèce donnée).
Ainsi des éleveurs de moutons relatent un fait assez étonnant.
Dans les très grands élevages, l'entrée des parcs est souvent aménagée avec un ensemble de rouleaux métalliques au niveau du sol et placés au-dessus d'une
fosse pour pouvoir entrer en rotation. Cette structure interdit de fait au bétail de s'échapper, les animaux ne pouvant poser pattes sur cette zone mouvante, alors que les
véhicules peuvent y circuler. Pourtant des témoignages rapportent que des moutons avaient trouvé moyen de prendre régulièrement la clé des champs en progressant sur le dos pour répartir la
charge. (J'imagine plus que c'est en réalité sur le flanc). Plutôt étonnant et remarquable même si se pose, comme pour tout témoignage, le manque d'éléments d'analyse qui permirent d'arriver à
ce constat...Mais pourquoi pas?
Pour revenir à mes Lutins, j'ai observé "sous toutes les coutures" un comportement tout autre mais tout aussi intéressant avant de pouvoir tirer les
conclusions qui vont suivre.
En cette période de sécheresse, mes Ouessant profitent chaque soir d'une ration d'orge et granulés pour compléter leur alimentation quotidienne à cause d'une
herbe pas aussi riche qu'il le faudrait
La zone où les auges sont posées est donc fortement piétinée. Le sol est devenu nu avec les ans et par ce temps assez poussiéreux.
Il y a toujours un peu de gaspillage et certains grains sont dispersés. Une fois tout le monde reparti à ses occupations, quelques gourmands restent sur place à
grapiller les miettes. Pourtant, il faut savoir que le mouton qui n'est pas en sous-nutrition demeure un gourmet et est délicat, ne se ruant pas sur toute nourriture, prenant au contraire le
temps de sélectionner et délaisser l'aliment souillé.
Ainsi les grains d'orge sont humés pour en analyser les qualités. Certains sont donc délaissés alors que d'autres avalés. C'est là que les choses deviennent
intéressantes.
J'ai découvert qu'un Ouessant avait acquis une technique efficace pour absorber ce grain reposant dans la poussière. Si celui-ci est jugé consommable, l'animal
expire fortement une bonne fois sur sa cible. Ce qui a pour effet de disperser la poussière par ce coup de soufflette alors que la graine plus dense demeure au sol. Il ne
reste qu'à la prendre délicatement du bout des lèvres.
Ne m'enthousiasmant pas aveuglément et ayant plutôt un esprit critique sur toute chose, j'ai multiplié encore et encore les observations pour pouvoir affirmer que
l'animal ne profitait pas au hasard de ce que sa respiration proche du sol pouvait rendre plus accessible. Les nombreux grains inintéressants car piétinés depuis plusieurs jours se trouvent
délaissés et le souffle n'est pas appuyé en leur présence, alors que le grain appétant subit très nettement la manoeuvre décrite afin de pouvoir le prélever sans éléments terreux. De
plus, les autres animaux ne se comportent pas ainsi, c'est à dire en "expirateur sélectif". Tout me semble bien être un comportement acquis tout à fait personnel chez cette brebis. Et chaque
soir, je peux assister au même phénomène, cherchant à trouver une faille dans mes constatations et raisonnements...mais je n'en trouve pas.
Sur la photo, on peut voir Vénus qui par son souffle a créé ce petit cratère nu de poussière au milieu duquel est resté le grain convoité.
Toutes mes félicitations Madame Vénus!