"C'est le temps des bruits insolites et mystérieux dans la campagne. Les grues émigrantes passent dans des régions où, en
plein jour, l'oeil les distingue à peine. La nuit, on les entend seulement; et ces voix rauques et gémissantes, perdues dans les nuages, semblent l'appel et l'adieu d'âmes tourmentées qui
s'efforcent de trouver le chemin du ciel, et qu'une invincible fatalité force à planer non loin de la terre, autour de la demeure des hommes; car ces oiseaux voyageurs ont d'étranges incertitudes
et de mystérieuses anxiétés dans le cours de leur traversée aérienne. Il leur arrive parfois de perdre le vent, lorsque des brises capricieuses se combattent ou se succèdent dans les hautes
régions. Alors on voit, lorsque ces déroutes arrivent durant le jour, le chef de file flotter à l'aventure dans les airs, puis faire volte-face, revenir se placer à la queue de la phalange
triangulaire, tandis qu'une savante manoeuvre de ses compagnons les ramène bientôt en bon ordre derrière lui. Souvent, après de vains efforts, le guide épuisé renonce à conduire la caravane; un
autre se présente, essaie à son tour, et cède la place à un troisième, qui retrouve le courant et engage victorieusement la marche. Mais que de cris, que de reproches, que de remontrances, que de
malédictions sauvages ou de questions inquiètes sont échangés, dans une langue inconnue, entre ces pèlerins ailés! Dans la nuit sonore, on entend ces clameurs sinistres tournoyer parfois assez
longtemps au-dessus des maisons; et comme on ne peut rien voir, on ressent malgré soi une sorte de crainte et de malaise sympathique, jusqu'à ce que cette nuée sanglotante se soit perdue dans
l'immensité."
C'est ainsi que George Sand décrit merveilleusement bien le passage des grues cendrées au-dessus de son Berry d'il y a
environ 160 ans. Son style très littéraire empreint d'un certain anthropomorphisme éloigne un peu de la réalité naturaliste de cet évènement migratoire, mais l'émotion perçue en ces
instants est bien présente dans ce morceau choisi.
Nous vivons ces jours derniers ce grand moment de la migration des grues venant d'Allemagne et Scandinavie pour
rejoindre l'Espagne mais aussi le Sud-Ouest de la France, la Champagne et quelques autres points d'hivernage de l'hexagone. En cette période de pic migratoire, elles déferlent jour et nuit
par milliers et dizaines de milliers au-dessus de nos tête offrant ainsi un des plus fabuleux spectacles de la nature en Europe.
A condition de ne pas les confondre avec des oies, des cormorans et autres grands hérons, si vous observez des grues, vous
pouvez communiquer vos observations à http://champagne-ardenne.lpo.fr/grues/point_sur_la_migration.htm afin de contribuer au travail de suivi engagé par les
ornithologues depuis plusieurs années, permettant ainsi de mieux connaître l'espèce (population, comportement,...). Vous n'habitez pas sur l'axe NE/ SO qui traverse la France, autoroute aérienne
pour ces oiseaux, ouvrez tout de même l'oeil et les oreilles car bandes égarées et marginales, perturbées par des conditions météo parfois contrariantes, se retrouvent
(bien que rarement) jusqu'en Bretagne ou (plus souvent) en région méditerranéenne.