Je serais presque tenté de l'appeler l'adjudant-chef (pour plaisanter) si elle n'avait un psychisme canin d'une
extrême finesse. Toujours est-il que Perle, mon premier Border collie, a toujours été une dominante. La louve alpha dans la meute...et dans la vie. Celle qui voudrait sans cesse tout
gérer, posséder... l'obsession du pouvoir et du règne (oui, oui, chez les chiens également). Elle, Elle et encore Elle....mais aussi Elle pour les autres, dernier point qui ne la présente pas que
sous un angle seulement négatif, loin de là. Elle sait, par exemple, venir signaler qu'un chat est de l'autre côté de la porte et qu'il serait bon de le faire rentrer... Elle est capable,
sur demande, d'aller chercher le compagnon désigné par son nom....
S'il faut être un maître à la hauteur avec un Border collie, race demandant activité physique mais aussi mentale au-delà de
l'ordinaire, il faut se surpasser avec un Border dominant. Un chien dominant ne fut pas ce qu'il y avait de mieux pour moi, il y a bientôt quatorze ans, pour commencer avec
cette race car j'en ai véritablement "bavé" (autant qu'appris) , je l'ai toujours avoué... J'avais d'ailleurs pressenti la chose quand, le jour J, j'étais venu
la récupérer enfin chez son éleveur. Toute la portée était autour de nous. Une seule, comme un électron libre, avait disparu dans l'instant, partie vivre sa vie en belle
hyperactive, n'étant entrevue que quelques secondes de temps à autre lors de son passage régulier devant nous durant les tours de grange effrénés dans lesquels elle s'était lancée.
C'est en effet d'abord sous ce trait de caractère évident d'hyperactive que je la perçus. Pour le berger-éleveur, à l'entendre dans ses regrets de ne plus pouvoir se la
réserver, j'avais choisi la meilleure.
Pendant le long chemin de retour, j'envisageais inquiet mon avenir avec cette boule de poils qui semblait être
tout mon contraire dans son âme (pour la dominance et l'hyperactivité au moins). Il n'était pas question pour autant de revenir sur mon choix, habitué à prendre mes responsabilités et ne voulant
pas "l'abandonner" pour un autre. C'était elle et ce fut Elle. Dans cette aventure avec Perle, je me suis énormément enrichi et construit, tout autre chien me
semblant "facile" par la suite.
Non qu'elle soit méchante, Ma Perle, loin de là, pas du tout, mais prise dans ce désir permanent de vouloir gérer, elle est
vite épuisante. Pas responsable la pauvre, c'est sa nature simplement, son caractère et être dominant n'est pas de tout repos pour le chien lui-même. Obéir? (dans ses premiers mois)
Pourquoi? Non pas faute de sa part de comprendre, mais parce que quand on naît dominante "On commande", pas l'inverse; c'est pourtant simple à comprendre. Que les humains sont limités
parfois!
Refuser le pouvoir d'un autre au point de ne pas vouloir manger sa gamelle dans sa jeunesse, tel fut un temps le
quotidien, car une dominante décide tout simplement du lieu et l'heure et ne mange pas quand on le lui propose.
Pourtant d'une grande intelligence et d'une subtilité fascinante Ma Perle. Trop peut-être, car ce qui est simple peut
devenir compliqué quand on intellectualise tout. En tout cas des capacités mentales époustouflantes qui m'ont fait dire (et je persiste) que le Border collie n'est pas un chien, plus vraiment un
chien, véritablement un être à part. Un être à mi-chemin entre le chien et l'humain, dans un corps de chien, avec des
codes de chien mais enrichis par la communion et l'épanouissement au sein de la famille (et des siècles de sélection). Comme si l'humain, de par le type de vie et l'enrichissement apporté,
permettait à l'animal d'extérioriser des capacités multiples qui en d'autres situations moins stimulantes seraient restées enfouies, comme trop souvent chez le chien reclus au
chenil, délaissé au sous-sol ou pire enchaîné à la niche.
J'avais commencé par être étonné par la quantité de vocabulaire qu'elle était capable d'assimiler. Dans les jeux de sa "petite enfance"
la liste des objets qu'elle était capable d'aller chercher était impressionnante et elle ne s'y trompait jamais. Pour nourrir son intelligence et calmer son énergie, le jeu de l'objet caché
à retrouver au flair ou aux indices verbaux était devenu indispensable et avait le mérite de pouvoir se pratiquer en tout lieu. En campagne, elle raffolait du jeu de pistage, retrouvant
toujours la personne cachée. Le classique jeu du bâton fut avec elle une grosse erreur que je n'avais pas envisagée. En effet toute branche en promenade (fut-elle de 4m) ou brindille de la
taille d'une allumette devenait prétexte à solliciter pour ce jeu. Face au refus, elle se lançait en jongleries qui m'ont toujours fait penser qu'elle avait râté une carrière de majorette. Et
puis impossible de croiser quelqu'un en promenade ou d'accueillir une personne sans que ces derniers se retrouvent avec un morceau de bois sur les pieds. Le charme opérant, l'humain
flatté ne supposant pas qu'il entrait en esclavage s'il répondait à la sollicitation malgré mon "interdiction" incomprise, ne devait ensuite son salut dans l'épuisement que grâce à mon
injonction de cessation d'activité auprès de ma chienne. Excessive Ma Perle!
Tous ces jeux venaient en plus du travail sur troupeau où elle excellait face à mon attente bien que le pois sauteur qu'elle avait dans
le derrière la gênait un peu trop, ne sachant de fait pas trop rester en place. Le Border ne sachant, ne pouvant, pas toujours gérer seul ses efforts, c'est au maître de veiller à éviter la
surchauffe et l'explosion de la machine canine. Pour les passionnés du Border, Perle est une descendante de Floue
(dont elle a la couleur) et Loustic de Pascal Cacheux, chiens et personnage inscrits dans l'histoire du Border en France, même si cela commence à dater.
Dominante, possessive Ma Perle, au point que tout objet posé au sol sous ses yeux ou que tout invité ou passant devenait sien
et farouchement défendu face à tout autre chien.
Excessive dans sa subtilité d'observation, Ma Perle. Situation d'embarras pour moi face à ses réactions de peur évidentes comme
quand elle se retrouva pour la première fois devant un petit enfant noir ou encore devant cette brave dame portant, il est vrai, un manteau particulièrement insolite. L'insolite, elle le
percevait dans la motte de terre de labour un peu différente des autres. Plus grosse, plus comme ci ou comme ça cette motte, et en bonne louve alpha elle avertissait sa meute d'un danger
potentiel. Je devais alors, par le peu d'intelligence qui me restait malgré tout encore face à elle, lui démontrer son erreur d'appréciation.
L'adjudant-chef se trouvait dégradé cependant en de rares occasions, demandant alors protection auprès de son
berger. La découvrir aplatie et tremblante sur le pont, pattes écartées, lors de la traversée pour Ouessant fut une des rares fois où Perle se montra pitoyable. Ou encore, elle ne supporte
ni les pétards ni les coups de fusil (elle non plus...).
J'écris souvent au passé me remémorant ces instants, mais Perle est toujours bien vivante bien que bien calme à présent à bientôt 14
ans et avec les douleurs qui vont avec. Elle dort beaucoup, comme en ce moment à mes pieds, faisant entendre de longs soupirs de satisfaction et laissant monter à moi son
agréable et douce identité de senteur canine qui la caractérise.
Elle sait se montrer encore bien vive une fois l'échauffement de départ pratiqué. Elle ne va plus au troupeau, mais je lui réserve
tout de même quelques instants moutonniers parfois pour son mental. Il n'y aurait rien de plus triste pour elle que de considérer que c'est fini à jamais car elle en meurt toujours
d'envie... Mais comme elle se tuerait au travail et qu'elle entend moins bien, je veille à gérer son plaisir et son
avenir.
Touchante Ma Perle quand, lors des promenades, elle vous appelle, immobilisée patte en l'air, pour vous signaler une
fois de plus quelle a marché sur une épine et qu'il faut venir la lui retirer...
Il y aurait tout un livre à écrire sur Ma Perle. Que de partage, de moments forts, insolites, merveilleux et
inoubliables forcément en 14 ans.
J'espère encore pour elle, et pour moi avec elle, un futur printemps, un futur été, un futur.... et pourquoi pas de nombreux autres
printemps.